L'esclavage n'est pas dans le monde, il est en nous

L'esclavage n'est pas dans le monde, il est en nous

"Mondes de l'esclavage - Une histoire comparée" est déjà paru en 2021 aux Editions du Seuil en France. Il traite de l'histoire de l'esclavage de la fin de l'âge du bronze à nos jours. La traduction allemande est enfin disponible. Une lecture essentielle.
Paulin Ismard
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Paulin Ismard
Les Mondes De L'Esclavage

Les mondes de l'esclavage - Une histoire comparée | Paulin Ismard (éd.) | POINT | 1176 pages | 14.90 EUR

Qu'est-ce que l'esclavage et comment est-il apparu ? Pour répondre à ces questions, Les Mondes de l'esclavage restera pour longtemps à la fois un ouvrage de référence et un point de départ dans les études historiques. Sous la direction de Paulin Ismard, de nombreux historiens ont rassemblé leurs connaissances sous trois grands arcs thématiques. La première partie, intitulée "Situations", décrit et évalue des situations concrètes. 

Au début, l'esclavage était presque toujours lié à des captures lors de guerres. Dans l'esprit des gens, un esclave ne pouvait être qu'un Autre. Au fil de l'évolution, cet autre a été défini de manière de plus en plus large, jusqu'à ce que l'humanité même de certains hommes soit niée. Les esclaves sont devenus des choses. Ce sont des Grecs de l'île de Chios qui auraient été les premiers à vendre des hommes contre de l'argent. Ils ont développé un commerce, esclaves contre vin, qui a rendu l'île très riche.

Dès le début, l'équipe de Paulin Ismard tente de définir ce qu'est l'esclavage. Au terme de centaines de pages, force est de constater que cette condition ne peut être définie avec précision. Une valeur marchande reste au final le critère le plus clair pour savoir si l'on est esclave ou non. Les degrés de dépendance hiérarchique et de non-liberté personnelle sont si nombreux et sophistiqués que le passage final à l'esclavage n'est souvent pas facile à déterminer. 

Dans la Chine antique et dans d'autres régions d'Asie, il paraît qu'il n'y avait même pas de mot pour désigner la liberté personnelle. Le fait qu'une personne puisse être libre est une idée des anciens Grecs. C'est Solon qui, au 6e siècle avant notre ère, a codifié pour la première fois la ou les libertés des citoyens d'Athènes. Aucun citoyen ne pouvait donc perdre sa liberté personnelle. Cela était particulièrement important pour la question de savoir comment traiter les débiteurs qui ne pouvaient pas rembourser leurs crédits. Après l'emprisonnement, il s'agit de la deuxième cause la plus fréquente de dépendance esclavagiste. Le problème est que les débiteurs appartenaient à leur propre peuple. 

Les sociétés qui ont introduit l'esclavage en cas d'indisposition à payer ses dettes ont dû redéfinir l'Autre. Une porte s'est ainsi ouverte pour traiter les autres comme des choses et des biens commerciaux. Il est surprenant de constater que les esclaves redevenus libres sont souvent devenus eux-mêmes des esclavagistes.

Il est prouvé que l'esclavage existe depuis la fin du néolithique. Il perdure encore aujourd'hui sous différentes formes. En lisant chapitre après chapitre sur l'esclavage à travers tous les pays et toutes les époques, on a le sentiment qu'il est indissociable de l'homme. L'interdiction officielle de l'esclavage, imposée dans le monde entier par la civilisation occidentale, apparaît soudain comme une exception possible, une évolution particulière qui peut s'interrompre à tout moment. Une prise de conscience qui fait peur. Le fait qu'il n'y ait pas de place pour la (les) liberté(s) entre un zéro et un numérique pourrait éventuellement faire renaître l'esclavage à long terme. Quelle que soit la définition qu'on lui donne alors. Mais c'est un autre sujet. Les mondes de l'esclavage permet au lecteur de faire un retour en arrière. Le livre donne, avec force, une vue d'ensemble comme il n'y en a jamais eu jusqu'à présent.

Celui qui a parcouru 51 "Situations" peut s'attaquer, ponctuellement ou en totalité, aux 26 chapitres de "Comparaisons", la deuxième partie du livre, qui tentent de pénétrer de manière abstraite et scientifique certaines notions comme celles de prisonniers, de corps, de résistance ou de traite négrière. Cela peut fatiguer l'un ou l'autre, mais c'est certainement nécessaire dans le cadre de la science historique.

Enfin, 17 chapitres sur les périodes de transition, "Transformations", constituent la troisième et dernière partie du livre. On y trouve des mots-clés comme monothéisme, Antiquité et Haut Moyen Age, Islam, Eglises et esclavage atlantique, époque des plantations, capitalisme ainsi que l'esclavage contemporain. Les situations déjà décrites dans la première partie et les conditions de leur émergence sont ici replacées dans un cadre temporel plus large.

Lire ce livre est un choc. Mais en grande partie un choc libérateur. Pourquoi ? Parce qu'il offre au lecteur une vision cristalline du sujet. Ce que l'on a analysé historiquement dans ses plus fines ramifications, on peut mieux le voir dans son présent. L'esclavage est la dernière chose dont l'humanité a besoin. Elle n'a pas encore prouvé qu'elle était durablement immunisée contre ce mal fondamental.