Du grand art ! Du grand art ?
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© Reprodukt VerlagMichèle Fischels | Outline | Reproduit | 208 pages | 24 EUR
Excellent ! Michèle Fischels - Outline: Quiconque a déjà fréquenté un lycée sait à quel point le choix d'une devise appropriée peut devenir crucial pour l’ensemble de la promotion. Après tout, il y a cette ferme conviction qu’il faut prouver au monde l’importance et la créativité de cette génération : "Wasabi - Scharf im Abgang" est donc la devise adoptée par le groupe d’élèves en question. Ce roman graphique raconte la dernière année d’un groupe de jeunes avant le baccalauréat, marquée par les derniers moments forts et les réorientations qui en découlent : le dernier voyage scolaire, la dernière fête, l’incertitude quant à l’avenir professionnel. Fischels suit la bande de Ben, Andreas et Clara, qui doivent naviguer entre la préparation du bac et les démarches pour entrer à l’université. Au milieu de toute cette confusion, des ruptures et de nouveaux départs dans les relations et l’amour se dessinent également. L’école devient ainsi à la fois une porte et un tremplin pour les protagonistes : les examens approchent, les amitiés sont mises à l’épreuve et chacun doit entreprendre des démarches pour démêler le réseau complexe de ses relations.
Avec Outline, Michele Fischels a créé une œuvre qui s'inscrit dans le genre en plein essor de la littérature young adult, tout en en redéfinissant les frontières. Pour sa première publication, Outline a déjà été récompensé par le Lynx du mois de septembre 2024 ainsi que par le Lynx du mois, décernés par Die Zeit et Radio Bremen.Dans l’éloge, on pouvait lire : "Fischels prouve que le silence des jeunes ne marque pas forcément la fin de la communication, mais peut au contraire être un commencement – empli d’images qui en disent plus que mille mots." Cette phrase résume parfaitement la force d’Outline : son minimalisme suggestif.
Fischels parvient à traiter ces thèmes avec subtilité et une ironie empathique. Comparée à Sur un rayon de soleil de Tillie Walden, elle renonce toutefois à son mode de narration épique, presque féerique, et emprunte une voie plus ouverte, moins entièrement développée. Elle dissout l'intrigue, pourtant bien structurée, au profit d'une construction plus associative, presque journalière. Les cases ressemblent ainsi parfois à des fragments de souvenirs épars, mais c'est précisément leur apparente absence de connexion qui donne naissance à un ensemble plus vaste.
Le trait épuré s’inscrit dans la tradition française d’artistes comme Claire Bretécher et Catherine Meurisse, qui travaillent également avec des lignes sobres et un langage visuel percutant. L’influence du trait nerveux de Gipi transparaît aussi, en particulier dans les moments où le déchirement intérieur des protagonistes devient visuellement tangible. La ligne minimaliste et la palette de couleurs discrète soulignent le caractère introspectif de l’œuvre. Son trait est simple mais expressif, évitant tout ornement superflu. Cette clarté n’est cependant pas une fin en soi : elle sert à accentuer l’émotion de l’histoire et joue ainsi un rôle expressif (cf. image ci-dessus, p. 113).
Outline s'inscrit ainsi parfaitement dans l'essor de la littérature Young Adult, qui recourt de plus en plus aux formes d'expression graphiques. Avec son premier roman, Fischels prouve qu'elle porte une voix qui mérite d'être entendue, en particulier par les jeunes lecteurs, et que sa combinaison d'images et de texte peut créer un espace de résonance captivant. On peut se demander avec curiosité quels thèmes la jeune artiste explorera à l'avenir, lorsqu'elle dépassera les frontières du genre Young Adult.
© avant VerlagGipi | Histoires de province | avant Verlag | 208 pages | 35 EUR
Pas du tout provincial ! Gipi - Geschichten aus der Provinz : Avec Irgendwie und Sowieso, Franz Bogner a dressé dans les années 80 un portrait à la fois joyeux et mélancolique de la province bavaroise à la télévision. Cette indétermination vague se retrouve également dans le recueil de récits de Gipi. Mais vingt ans après cette série télévisée, l’heure n’est plus à la légèreté dans la province, du moins en Italie. L’épisode principal, Notes pour une histoire de guerre (Appunti per una storia di guerra), qui constitue un élément central de l’œuvre de Gipi, brosse un tableau saisissant de la violence, des luttes de pouvoir et de survie dans un environnement marqué par les conflits et le crime organisé.
L’histoire se déroule dans une région non précisée, secouée par des troubles sociaux et politiques. Toutefois, le conflit n’est jamais clairement nommé. Il demeure plutôt une présence diffuse et menaçante en arrière-plan, dictant la réalité quotidienne des personnages. L’intrigue ne fait donc pas référence à une guerre spécifique, mais utilise plutôt cette menace omniprésente comme une métaphore de la violence ordinaire à laquelle les gens sont confrontés. Le récit suit un groupe de jeunes hommes évoluant dans cet univers destructeur, développant diverses stratégies de survie et n’hésitant finalement pas à recourir à la violence. Il s’agit de leur immersion et de leur ascension au sein d’une structure criminelle qui impose sa loi dans ce système.
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Gipi met ainsi l’accent sur le développement psychologique de ces jeunes et sur leur manière de gérer la menace constante de la violence et du pouvoir. Leur monde est marqué par une spirale descendante inéluctable au sein de ce système. L’histoire se concentre sur la lutte quotidienne pour un soi-disant meilleur avenir et sur la quête d’une identité masculine (cf. par ex. image ci-dessus, p. 66). Au sein des structures des bandes, les jeunes trouvent un sentiment d’appartenance, accèdent eux-mêmes à une forme de pouvoir, mais en paient aussi le prix : la peur et la pression constante de devoir s’imposer dans ce monde en se pliant à ses règles.
La guerre qui couve en arrière-plan et qui façonne la réalité des jeunes se manifeste comme une atmosphère sombre et diffuse, faite d’incertitude, de peur et d’un silence menaçant. Cette indétermination en fait une métaphore de la vie souvent chaotique des adolescents, marquée par des luttes de pouvoir. La question du « pourquoi » de la violence reste sans réponse, ce qui ne fait que rendre les conflits d’autant plus oppressants. Cette guerre est une menace qui provient de diverses sources : le crime organisé, les inégalités sociales, la fragilité des relations, un désespoir généralisé, particulièrement ressenti par les jeunes, et pas seulement dans la province italienne. L’Allemagne de l’Est résonne également en arrière-plan. La guerre est omniprésente, parfois invisible et floue, mais toujours là. Ainsi, la province où se déroule l’histoire n’est pas tant un lieu géographique précis qu’un symbole d’isolement et d’absence de perspective. En province, l’espace d’épanouissement et de développement est limité, et les structures dominantes laissent peu d’alternatives aux protagonistes.
Gipi utilise ici sa technique de dessin caractéristique, marquée par un trait souvent rapide et fortement épuré. Les personnages apparaissent ainsi la plupart du temps comme des silhouettes fantomatiques ou des esquisses grossières. Cette simplification crée, d’une part, une certaine distance qui permet néanmoins de concentrer chaque image sur l’essentiel d’une personne ou d’une situation. D’autre part, elle contraint le lecteur à s’immerger profondément dans les dimensions émotionnelles et psychologiques des personnages. La déformation du monde et de la psyché des protagonistes est d’autant plus vivement ressentie à travers ce style graphique. Ce n’est pas un hasard si les images rappellent à plusieurs reprises les études de caractère de George Grosz. L’ensemble est renforcé par des nuances de gris en aplats, qui accentuent l’ambiance générale du récit.
Les autres récits, Les innocents(Gli innocenti), Ils ont trouvé la voiture (Hanno trovato l'auto), Deux champignons(Due funghi) et La main morte (La mano morta), explorent également les thèmes de la violence et de l’ambiguïté morale. Ils sont marqués par la quête d’identité et d’appartenance dans un environnement d’isolement et d’aliénation. Des symboles forts, intégrés comme motifs récurrents (tels que la voiture ou le champignon), enrichissent la narration d’une dimension visuelle et renforcent son impact émotionnel.
© Edition ModerneJoe Sacco | Palestine | Edition Moderne | 302 pages | 29 EUR
Toujours d'actualité ! Joe Sacco - Palestine: Aucun auteur de bande dessinée n’a autant influencé la narration journalistique que le dessinateur et écrivain malto-américain Joe Sacco. Son recueil Palestine (publié entre 1993 et 1995 sous forme d’épisodes individuels, traduit pour la première fois en français en 2004) est considéré comme l’une des œuvres majeures du genre de la bande dessinée documentaire. Ses dessins en noir et blanc, sombres et foisonnants de détails, semblent parfois presque surchargés. Mais c’est précisément ce qui en fait un reflet fidèle de la complexité de la tragédie politique et humaine qu’il dépeint. Dans les années 90, le reporter et illustrateur Joe Sacco se rend en Cisjordanie et dans la bande de Gaza pour documenter le quotidien des habitants sous l’occupation israélienne. Il recueille les témoignages de civils palestiniens sur les effets de l’occupation et retrace des récits de souffrance, de peur, d’espoir et de résistance. Sacco alterne entre interviews, expériences personnelles, informations factuelles et moments d’enquête, ce qui confère à cette bande dessinée la structure d’un véritable reportage. Il ne s’agit donc pas seulement d’une collection de témoignages individuels, mais aussi d’une réflexion critique sur l’origine du conflit, les malentendus historiques et les décisions politiques qui n’ont cessé d’alimenter les tensions, ainsi que sur les rapports de force en présence. Si Sacco, en tant qu’observateur occidental, conserve une certaine distance par rapport aux récits qu’il rapporte, il parvient néanmoins à adopter une perspective empathique qui permet au lecteur de se projeter dans la situation des Palestiniens, souvent perçue comme une impasse (cf. illustration ci-dessous, p. 150).
Les événements du 7. octobre 2023, lorsque le Hamas a lancé une attaque terroriste de grande envergure contre Israël, ne sont pas directement abordés dans la réédition de 2024, car ils se sont produits après les faits présentés dans l’ouvrage. Toutefois, la pertinence du travail de Sacco peut être perçue précisément à travers le prisme des événements de 2023. Palestine peut ainsi être considéré comme une sorte de préhistoire, mettant en lumière certaines des racines du conflit actuel : les questions politiques non résolues, la spirale de la violence et les conséquences sociales complexes pour les populations des deux camps. L’examen de ces tensions de longue durée est en effet un objectif central de l’œuvre de Sacco. Dans sa préface à la réédition de 2024, il écrit ainsi : « Les enjeux sont toujours plus importants pour les deux peuples. On ne peut que prier pour que les hommes de bien des deux côtés se retrouvent, s’éloignent du gouffre et cherchent une voie juste. » Le style graphique de Joe Sacco est à la fois discret et précis. Ses dessins, bien que réalistes, restent stylisés et volontairement épurés. Son approche rappelle celle de Chris Ware, Charles Burns et, dans une certaine mesure, Robert Crumb. L’accent est mis sur les visages des personnages et sur des détails environnementaux clés, afin de renforcer l’intensité émotionnelle de chaque scène. Si la mise en page suit souvent une structure classique en quatre colonnes, Sacco expérimente aussi avec des perspectives variées et des formats d’image changeants. Les cases se fragmentent, les bulles de texte prennent parfois le dessus sur l’action ou, au contraire, disparaissent complètement pour laisser place à l’atmosphère d’une scène. Cette approche graphique reflète ainsi la diversité journalistique de son reportage. Ceux qui s’intéressent davantage aux racines profondes d’un conflit apparemment insoluble qu’aux débats politiques immédiats trouveront dans Palestine une œuvre qui élargit leur compréhension et leur perspective.
© Carlsen VerlagReinhard Kleist | Low | Carlsen | 176 pages | 25 EUR
Bowie, notre héros ! Reinhard Kleist - Low: "I, I can remember / Standing, by the wall / And the guns, shot above our heads / And we kissed, as though nothing could fall." Immédiatement, ces sonorités hypnotiques résonnent dans nos têtes. "We can be heroes, just for one day !" C’est ainsi que chantait Bowie à l’époque de Berlin – et nous nous sentions tous comme des héros avec David Bowie. Ce livre explore précisément ce sentiment de la fin des années 70 et nous replonge dans cette époque.
Reinhard Kleist est le maître du roman graphique biographique dans notre pays et, avec Low, il signe une œuvre où il se penche à nouveau sur la vie de la légende musicale David Bowie. Mais Low n’est pas seulement une biographie en bande dessinée : c’est aussi une exploration artistique de la personnalité complexe et des différentes phases de la vie de Bowie. Starman (2021) retraçait son ascension dans les années 1970, notamment sa période Ziggy Stardust et sa transformation en une figure iconique. En 2024, le deuxième volet, Low, voit le jour. Ce volume est consacré à la période qui suit le succès fulgurant de Ziggy Stardust, lorsque Bowie traverse une crise créative et se retire à Berlin. La bande dessinée se concentre sur la genèse de son album révolutionnaire Low, qui marque le début de la célèbre "trilogie berlinoise" et introduit une nouvelle voie expérimentale dans sa musique. Kleist capte l’atmosphère à la fois sombre et innovante de cette époque, où Bowie lutte contre ses démons personnels tout en explorant de nouvelles possibilités artistiques. Son exil à Berlin représente pour lui une forme de libération des contraintes de son ancienne vie.
Le récit n’est pas linéaire, mais oscille constamment entre différentes temporalités. Kleist débute avec la recherche d’un appartement par Bowie et une scène où il travaille sur l’enregistrement de Low dans un studio berlinois. Il insère ensuite des flashbacks, aux teintes presque monochromes, pour illustrer les événements qui ont conduit Bowie à cet album. Des thèmes comme la dépendance à la drogue, les blocages créatifs et le sentiment d’aliénation vis-à-vis de son entourage et de son propre rôle sont abordés. Et à plusieurs reprises, le Starman flotte à travers les images, tel une icône du passé. Cette fragmentation du récit reflète à la fois le déchirement intérieur et le chaos dans lequel Bowie évolue, tout en faisant écho à Low, avec son mélange de sonorités expérimentales, de moments introspectifs et d’explosions émotionnelles.
D’une manière générale, le style de Reinhard Kleist se caractérise par un tracé clair et expressif. Il renonce en grande partie aux effets visuels détaillés et privilégie une approche minimaliste qui met l’accent sur les personnages, reléguant souvent les arrière-plans au second plan, voire les supprimant. Ce choix artistique confère aux représentations de Bowie, Iggy Pop, Brian Eno ou Romy Haag, ses amis berlinois, une présence forte qui rappelle les photographies iconiques de ces figures. À plusieurs reprises, les images prennent même en charge la narration des dialogues, s’imposant d’elles-mêmes sans nécessiter de texte (cf. image de gauche, p. 61).
Les métaphores visuelles jouent un rôle central dans la construction du récit. Par exemple, la vue du mur en noir, rouge et or ne se limite pas à un simple élément de décor, mais s’imprègne d’un sous-texte symbolique. De même, des motifs récurrents comme les vinyles, les miroirs ou les fenêtres renvoient à des thématiques profondes telles que l’introspection, la quête identitaire et l’aliénation.
Un aspect du livre peut cependant surprendre au premier abord : l’utilisation presque criarde de la couleur. Ceux qui suivent Kleist depuis longtemps le connaissent surtout pour l’expressivité de ses contrastes en noir et blanc. Ici, il opte pour une palette chromatique intense, dont l’éclat rappelle l’esthétique des années 1970, les pochettes d’albums et l’apparence visuelle de Bowie à cette époque. De nombreuses scènes sont inondées de couleurs vives comme le rose, le bleu et l’orange, aux accents quasi psychédéliques. Dans certains moments, les couleurs explosent littéralement, en particulier dans les scènes illustrant les excès de drogue de Bowie ou ses moments de transe musicale.
Cette utilisation des couleurs n’est certainement pas anodine : elle participe à la construction de l’ambiance et renforce la sensation de confusion, d’intensité et de tension psychique qui habite Bowie à cette période de sa vie. Toutefois, cet éclatement chromatique atténue quelque peu la sobriété sombre et la mélancolie qui transparaissent habituellement dans les nuances et les contrastes tranchés de Kleist . La représentation de l’obscurité psychologique et de la déchirure intérieure, comme on peut la voir sur la pochette de Heroes, le deuxième album de la trilogie berlinoise de Bowie, ne se déploie pas pleinement ici, car la palette de couleurs criarde peut parfois être écrasante et prendre le pas sur le style graphique caractéristique de Kleist.
Néanmoins, ceux qui cherchent à comprendre Bowie ne seront pas déçus. Piste recommandée pour accompagner la lecture : Subterraneans de Low – et Heroes reste, bien sûr, un choix incontournable !
© schreiber&leserChristophe Dabitch & Piero Macola | Le passeur | schreiber&leser | 224 pages | 29,80 EUR
L'autre Venise ! Christophe Dabitch & Piero Macola - Le passeur: Place Saint-Marc, Palais des Doges, Rialto et Pont des Soupirs sont des lieux tabous : ici, on découvre Venise sous un angle méconnu. Terrains portuaires rouillés, baraques délabrées sur des îles abandonnées, la lagune elle-même et ses dangereux bas-fonds où l'on peut s'échouer mortellement – tous ces lieux tiennent un rôle central dans ce roman graphique singulier. Et tout comme Venise est montrée sous un jour inhabituel, les auteurs abordent également le thème de la traite des êtres humains et des passeurs sous un angle original : Paolo cherche son père. Pêcheur aguerri, connaissant la lagune comme sa poche, ce dernier a disparu depuis des semaines. Personne ne semble savoir où il se trouve, mais très vite, Paolo a l’impression que le silence ne fait que masquer un sombre secret. Il interroge les habitués des bars et pubs du port, sillonne la lagune et espère glaner des indices dans les quartiers périphériques les plus sordides, ou encore dans des maisons isolées sur des îles désertes. Lorsqu’un deal de drogue impliquant sa bande tourne mal, Paolo est entraîné dans une spirale de machinations criminelles. La mafia et les passeurs tirent les ficelles, tandis que la police détourne le regard ou assiste, impuissante, aux événements. Son amitié avec Ahmad, qui cherche à l’entraîner toujours plus loin dans ce cercle dangereux, est mise à l’épreuve. Paolo ne plonge pas dans ce monde par choix, mais parce qu’il cherche désespérément son père disparu. Pourtant, la réalité est plus complexe qu’il ne l’imaginait. Il prend peu à peu conscience de l’imbrication des réseaux criminels, de la mafia et de la corruption omniprésente. L’histoire pose alors la question des choix moraux auxquels sont confrontés ceux qui évoluent dans un système où le pouvoir et l’impuissance se côtoient, où la frontière entre bourreau et victime est souvent floue. Paolo doit décider s’il poursuit sa quête, même au risque d’une issue fatale. Mais existe-t-il seulement une issue ?
Venise, ville de la déchirure, joue ici un rôle central. Elle n’est pas seulement un décor enchanteur, mais aussi un espace de délabrement, peuplé d’îles abandonnées et de bas-fonds traîtres où l’on peut sombrer si l’on n’y prend pas garde. Les quartiers délabrés où se déroule l’essentiel de l’action sont une métaphore parfaite des secrets enfouis et des recoins obscurs où prospèrent bien d’autres trafics que celui des migrants. Dans ce paysage impitoyable, il ne s’agit pas seulement de survivre physiquement, mais aussi de mesurer jusqu’où l’on est prêt à aller pour obtenir des réponses – et quels compromis l’on est prêt à accepter en chemin.
Piero Macola donne vie à l’atmosphère sombre de cette histoire avec une grande maîtrise. Son style de dessin, réduit à l’essentiel, parvient à capturer les détails à la fois mélancoliques et vibrants de la lagune vénitienne dans toute sa décrépitude. Les bâtiments abandonnés, les canaux rongés par le temps et les recoins sombres et secrets de la ville ne sont pas de simples décors, mais deviennent des éléments narratifs à part entière (voir par exemple l’image de gauche, p. 120). Les dangereux bas-fonds de la lagune symbolisent le terrain incertain que Paolo traverse, aussi bien physiquement que moralement, dans sa quête. Pour souligner cette atmosphère oppressante, la palette de couleurs est volontairement atténuée – ce sont principalement des tons bruns, gris et bleus qui dominent les pages. Ces nuances ne se contentent pas d’accompagner le récit, elles renforcent le sentiment de déclin et de perte qui imprègne l’ensemble de l’histoire. Macola utilise son style épuré pour retranscrire l’état émotionnel des personnages et l’ambiance pesante des arrière-cours vénitiennes et des îles de la lagune. Les visages sont souvent marqués par la douleur, la colère ou la résignation, et de subtils détails de dessin accentuent ce sentiment d’égarement, que Paolo n’est pas le seul à ressentir au fil de son périple. Le style de Piero Macola rappelle, à bien des égards, celui de Gipi, notamment dans sa capacité à exprimer des émotions et des atmosphères à travers des dessins simples, subtils mais puissants. Le passeur n’est donc pas seulement un récit captivant, c’est aussi une œuvre qui pose une question essentielle : quelle est notre propre position face au commerce mondial des personnes en fuite ? Cherchons-nous à affronter une vérité inconfortable, ou préférons-nous détourner le regard pour préserver notre confort ?
© Carlsen VerlagMaren &Ahmadjan Amini | Ahmadjan et la huppe | Carlsen Verlag | 240 pages | 26 EUR
De l'arrivée ! Maren & Ahmadjan Amini - Ahmadjan et la huppe Dans un monde où les thèmes de la fuite, de la migration et de la rencontre entre différentes cultures sont quotidiennement couverts par les médias, il n’est pas surprenant que ces questions complexes soient également de plus en plus explorées dans la littérature et la bande dessinée. Ce roman graphique propose une réflexion intime sur les notions de patrie et d’identité. Maren et Ahmadjan Amini utilisent la figure de la huppe – symbole d’espoir et de transformation – comme fil conducteur pour structurer leur récit poignant.
Maren Amini, caricaturiste, illustratrice et autrice de bandes dessinées allemande, collabore notamment avec Die Zeit, Der Spiegel et le Washington Post. Elle a étudié à la Hochschule für angewandte Wissenschaften de Hambourg, où elle s’est spécialisée en illustration et en bande dessinée. Son père, Ahmadjan Amini, est lui-même graphiste. Né à Kaboul, en Afghanistan, il a grandi dans un environnement relativement préservé des conflits. Il est arrivé en Europe en 1972. Comme il le raconte : « Pour l’Allemagne, il n’y avait pas besoin de visa, et on pouvait y rester trois mois. Les relations entre les deux pays étaient excellentes. J’ai pris l’avion de Kaboul jusqu’à Tachkent, puis j’ai poursuivi jusqu’à Moscou avant de prendre le train, via la Pologne, jusqu’à Berlin-Est. Là, une fonctionnaire m’a accueilli et m’a directement mis dans le train pour Berlin-Ouest. » Contrairement à de nombreux Afghans ayant fui la guerre et les conflits, Ahmadjan a donc pu rejoindre l’Allemagne à une époque où les relations politiques entre l’Afghanistan et la RDA étaient encore stables.
Pendant son séjour en Allemagne, Ahmadjan Amini s’est concentré sur son développement professionnel et artistique. Sa biographie n’est ainsi pas marquée par une fuite dramatique, mais plutôt par une migration culturelle et une quête d’identité en tant que migrant dans un nouveau pays (voir par exemple l’image ci-dessous, p. 108 et suivantes).
La huppe, un symbole issu de La conférence des oiseaux de Fariduddin Attar, joue un rôle central en accompagnant Ahmadjan sur son chemin. Dans cette bande dessinée, l’oiseau devient bien plus qu’un simple motif : il représente à la fois le voyage intérieur et l’évolution spirituelle et identitaire du protagoniste. Dans la poésie persane, la huppe est un guide, un messager de sagesse qui mène les oiseaux dans une quête de découverte de soi. De la même manière, dans ce récit, elle devient une boussole pour Ahmadjan, tiraillé entre ses racines afghanes et sa nouvelle identité en Allemagne. Cet oiseau lui rappelle d’où il vient tout en l’aidant à se repérer dans un environnement inconnu et à se construire une identité propre.
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Maren Amini utilise son style de dessin clair, presque minimaliste, pour représenter avec concision et précision les thèmes complexes de la migration et de l’identité culturelle. Ses modèles sont certainement le caricaturiste français Georges Wolinski, un dessinateur du magazine satirique Charlie Hebdo, et Sempé dans son art de la caricature douce mais précise. Ce dernier est une référence particulièrement pertinente pour l’équilibre subtil qu’il crée entre humour et gravité, une approche que l’on retrouve également dans le travail d’Amini. Dans ses bandes dessinées, Amini adopte une voie similaire. Ses personnages et ses scènes, volontairement exagérés et caricaturaux, s’appuient sur une combinaison habile d’humour et de sérieux. Ce contraste permet une immersion rapide dans l’histoire, sans accabler le lecteur, tout en l’incitant à s’engager pleinement sans être submergé par la gravité du sujet. La comparaison entre Ahmadjan et la huppe et Le passeur de Christophe Dabitch et Piero Macola met en lumière des approches totalement différentes du thème de la migration dans la bande dessinée. Alors que Le passeur adopte un réalisme sombre et tendu pour raconter l’histoire d’un jeune garçon plongé dans le monde du trafic d’êtres humains, Ahmadjan et la huppe propose une vision plus optimiste et conciliatrice du sujet. La huppe, qui symbolise la quête de connaissance supérieure dans La Conférence des oiseaux, devient ici un emblème de survie. Malgré les nombreux défis qu’Ahmadjan doit affronter, le message central de la bande dessinée reste celui de l’espoir et de la persévérance.
© Edition ModerneDinah Wernli | Louise | Edition Moderne | 168 pages | 34 EUR
Muse. Modèle. Objet ! Dinah Wernli - Louise: Avec Louise, Dinah Wernli s’aventure dans un méta-récit sur l’art et la vie. La structure narrative singulière de l’ouvrage, où des compositions visuelles expressives côtoient de brefs passages de texte en forme d’éclairages, reflète le tiraillement intérieur de la protagoniste entre son quotidien de paysanne et ses aspirations profondes, un conflit exacerbé par son rôle de modèle pour le peintre Cuno Amiet. D’un côté, le lecteur découvre Louise presque à travers les yeux du peintre/dessinateur, et de l’autre, ce regard est mis en contraste par les commentaires d’un narrateur omniscient. Amiet, l’un des artistes suisses majeurs de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, est reconnu pour ses œuvres marquant la transition entre le réalisme et l’expressionnisme, dans lesquelles l’influence du postimpressionnisme français est centrale.
L’ouvrage de Dinah Wernli met en lumière une rencontre particulière dans l’histoire de l’art suisse : celle du célèbre peintre et de sa muse, la jeune Louise Grütter, qui vivait dans le voisinage de Cuno Amiet, en Argovie. À partir de 1905, Louise Grütter a souvent posé pour Amiet, notamment en tant que mère allaitante avec son enfant. Plus tard, elle s’est également prêtée à des poses de demi-nus expérimentaux.
Wernli présente Louise comme un personnage oscillant entre l’objet et le sujet – à la fois modèle figé sur la toile et individu doté de pensées et de sentiments propres. L’ouvrage plonge profondément dans l’atmosphère de cette rencontre et nous fait découvrir l’œuvre d’Amiet à travers les yeux de Louise, et inversement. Il ne s’agit pas tant d’une reconstitution chronologique d’un moment historique que d’une quête visant à capturer les émotions nées de cette collaboration. La question du rapport entre l’art et la vie, entre l’objet du tableau et le sujet autonome, est constamment posée : qu’éveille le modèle chez le peintre et que suscite la peinture chez le modèle ?
"Tandis qu'elle est assise
et que son regard se pose sur elle,
elle aussi
commence à se voir.
Avec ses yeux.
Avec ses yeux." (p. 68 s.)
Les images que Wernli propose dans ce volume établissent un lien entre l’héritage artistique d’Amiet et la force expressive et narrative de sa propre interprétation. Le style graphique de Dinah Wernli dans Louise est essentiellement épuré et expressif. Son langage visuel se distingue par des couleurs intenses et vibrantes, qui amplifient les émotions et l’atmosphère des scènes représentées. Contrairement aux bandes dessinées classiques, Wernli ne cherche pas à illustrer le mouvement ou l’action, mais s’attache à capturer des instants et des ambiances. Ses dessins apparaissent presque comme des perceptions figées – calmes et introspectives. Il ne s’agit cependant pas de reproduire fidèlement un tableau d’Amiet ou de documenter de manière authentique la relation artistique entre le modèle et le peintre, mais plutôt d’explorer un lien émotionnel, transformant ainsi une perspective historique en une expérience personnelle.
La question de savoir si Louise relève du genre de la bande dessinée ou s’apparente davantage à un livre d’images est finalement secondaire. L’ouvrage s’éloigne volontairement des codes traditionnels de la bande dessinée, renonçant à une narration séquentielle et à une mise en page structurée en cases. Wernli privilégie au contraire de grandes compositions atmosphériques, instaurant un rythme narratif plus lent. Bien que les images soient accompagnées de textes et de dialogues, elles restent plus statiques que cinématographiques. Le statut du livre en tant que bande dessinée ou non reste donc une question ouverte. Wernli invite les lecteurs à s’immerger dans la représentation visuelle des émotions et des atmosphères plutôt que de suivre une intrigue linéaire. Il en résulte une expérience de lecture singulière, où la perception et la contemplation des images priment sur le déroulement d’une histoire au sens traditionnel.
© ReproduktCraig Thompson | Racines de ginseng | Reproduit | 456 pages | 39 EUR
Roots ! Craig Thompson - Racines de ginseng: Craig Thompson est reconnu pour ses récits à la fois épiques et intimes. Cette bande dessinée mêle des éléments autobiographiques – son enfance au sein d’une famille religieuse conservatrice – à une réflexion plus large sur le commerce du ginseng. L’ouvrage propose ainsi une double exploration : une rétrospective de l’enfance et de l’adolescence de l’auteur, et un voyage au cœur de la nature et de la culture américaines. Thompson réussit à établir un équilibre subtil entre des moments profondément personnels et une critique sociale plus large. Par cette approche, son roman graphique s’inscrit dans la tradition d’un John Steinbeck, rappelant sans cesse Fruits de la colère.
L’intrigue s’ouvre sur le cadre familial : le jeune Craig et son frère sont contraints d’aider au désherbage et à la récolte du ginseng pour contribuer à la subsistance de leur famille. Chaque semaine, ils transforment leurs maigres gains en bandes dessinées. Dès le début, les fondations de la vie de Craig sont ainsi posées : la culture du ginseng n’est pas seulement une activité économique, elle devient un moyen d’exploration personnelle, un pont entre les générations et une confrontation avec le passé. La récolte du ginseng est également présentée comme un rituel initiatique, incarnant pour l’auteur un processus de maturation essentiel. Tout au long du récit, les enfants doivent constamment choisir entre l’attachement profond de leur père aux traditions et leur propre aspiration à la liberté et à l’indépendance. Rapidement, il devient évident que le ginseng est bien plus qu’une source de subsistance : il est aussi à l’origine de tensions et de conflits familiaux, déclenchant une réflexion sur l’héritage et l’identité. Le père incarne à la fois une figure d’autorité inébranlable et une présence troublante aux convictions conservatrices – une relation jamais simple, toujours empreinte d’ambivalence (cf. par exemple l’image ci-dessus, p. 75). Thompsonparvient à restituer l’intensité émotionnelle de ce lien à chaque page. La culture du ginseng à Marathon, Wisconsin, devient une métaphore des épreuves que l’auteur doit surmonter. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Thompson a un jour déclaré : « Mon art de la bande dessinée est né de la douleur.
L'écriture graphique de Craig Thompson dans Racines de ginseng (Ginseng Wurzeln) est tout aussi marquante que dans ses œuvres précédentes. Son tracé clair et précis, combiné à un style foisonnant de détails, aboutit à une représentation réaliste, mais qui charme aussi par une simplification caricaturale et humoristique. À ce titre, il s’inscrit dans la tradition d’un Will Eisner. Thompson privilégie un noir et blanc très contrasté, régulièrement enrichi de nuances rouges. Il accorde une attention particulière à la représentation des paysages, qui acquièrent une dimension presque personnelle et deviennent, à plusieurs reprises, des lieux empreints de mysticisme. Arbres, collines, rivières – ces éléments ne se limitent pas à un rôle de décor, mais se transforment en véritables acteurs du récit, influençant son évolution de manière significative.
Craig Thompson prolonge ici les thématiques de son chef-d'œuvre Blankets (2003). Comme dans cet ouvrage, Thompson retrace l’histoire de sa propre jeunesse, marquée par des conflits religieux et une confrontation avec l’amour et les liens familiaux. Dans les deux récits, il s’agit d’un face-à-face avec l’héritage privé, social et religieux, ainsi qu’avec les attentes liées à ses origines. Il en ressort un Thompson plus mûr, qui n’hésite pas à explorer ses propres contradictions avec une sincérité sans détour.
© avant VerlagJacques Lob & Georges Pichard | Odysseus | avant Verlag | 160 pages | 39 EUR
Révisé ! Jacques Lob & Georges Pichard - Ulysse: Le volume Odysseus de Jacques Lob et Georges Pichard, paru au début des années 1970, est un produit de son époque. Il revisite l’histoire du héros grec en l’inscrivant dans un cadre érotique explicite. Cette association entre mythologie et érotisme était alors une tentative de remettre en question et de déconstruire les normes dominantes en littérature et en art – une démarche subversive qui s’inscrivait dans l’esprit de la contre-culture et de la libération sexuelle des années 1960 et 1970. Si l’ouvrage peut être perçu comme une expérience artistique ancrée dans son temps, il soulève néanmoins une question essentielle : son regard, résolument sexiste, peut-il encore être considéré comme pertinent aujourd’hui, en particulier au regard de sa représentation problématique des femmes ?
Dans l'épilogue 'Ni Dieu ni État. Ode à l'anarcho-érotisme', Boris Battaglia et Paolo Interdonato écrivent : "La chair tendre des dessins de Georges Pichard nous a excités dès notre plus jeune âge. Et jusqu'à aujourd'hui, nous ne nous en sommes jamais lassés." La déclaration n'est pas exempte d'embarras et sonne tout de même très vieux mâle blanc. Une réflexion plus critique serait ici appropriée : La représentation des femmes dans Ulysse est en effet sans aucun doute objectivement problématique. Rien que par leur apparence, Pénélope, Circé et Calypso, par exemple, sont pratiquement indiscernables les unes des autres. Chez Pichard, elles ne sont pas tant des figures mythologiques que des objets de plaisir au service du héros.
Alors que dans les années 1970, cette esthétique se présentait comme anarchique et libératrice sous l’égide de la révolution sexuelle et d’une large libéralisation des représentations du corps et de la sexualité, elle est aujourd’hui de plus en plus remise en question de manière critique. Certes, dans le contexte de cette révolution, la mise en scène de l’érotisme pouvait être perçue comme une émancipation vis-à-vis des anciennes normes morales. Cependant, la représentation trop souvent purement objectivante des personnages féminins doit désormais être considérée comme problématique et sexiste. La séquence finale, dans laquelle Pénélope assume de manière coupable la responsabilité des problèmes d'érection d'Ulysse, est symptomatique de cette situation (cf. image en haut à droite, p. 139).
Il existe ici une zone de tension qui accompagne également le discours autour de la réédition de ces œuvres. Alors que L’Odyssée d’Homère est un récit complexe sur la patrie, la perte et le dénuement, ancré dans un monde patriarcal dont les stéréotypes sont souvent interrogés et remis en question dans de nombreuses adaptations modernes, l’album de Pichard semble ignorer cette complexité thématique pour se concentrer exclusivement sur l’aspect sensuel et hédoniste du mythe. Là où l’œuvre d’Homère met en scène les conflits dramatiques des personnages et les conséquences de leurs choix, le récit de Pichard apparaît bien plus simplifié. La profondeur philosophique et psychologique qui caractérise le texte original se trouve en grande partie diluée dans cette adaptation en bande dessinée.
Bien que Odysseus soit avant tout perçu comme une bande dessinée érotique, on y trouve également des éléments de science-fiction. L’utilisation du cadre mythologique homérique permet à Pichard d’élargir le mythe dans une direction futuriste et spéculative. Cependant, cette approche repose sur une conception pseudo-scientifique datée, rappelant les théories d’Erich von Däniken. Dans le texte original d’Homère, l’Hadès est un lieu sombre et mystérieux où Ulysse communique avec les ombres des morts pour obtenir une compréhension plus profonde de l’existence humaine. Dans cette œuvre classique, les morts sont les témoins du passé et leurs messages à Ulysse offrent des sagesses sur la nature humaine. Pichard, quant à lui, ne se contente pas d’exploiter la dimension mythologique, mais introduit une lecture moderne et spéculative qui transforme l’Hadès en un espace entièrement différent, axé sur l’évolution humaine dans son ensemble – et ce, de manière crue et futuriste. : Les dieux disposent ici d'une salle de projection où l'on peut voir des enregistrements de l'évolution qui illustrent le fait qu'ils les dirigent toujours (cf. image ci-dessus, p. 93).
La question de la pertinence de la réédition d’œuvres comme Odysseus ou des bandes dessinées érotiques de Guido Crepax doit être envisagée sous différents angles. Peut-on justifier leur republication au nom de leur importance culturelle à une époque donnée, alors que la réflexion critique sur les représentations de genre et les normes sexuelles a considérablement évolué ? Il est plus probable que ce type de bandes dessinées trouve encore un public, principalement parmi un lectorat vieillissant qui entretient un lien nostalgique avec ces œuvres et les perçoit comme des témoins d’une époque révolue.