Prisonniers des récits

Prisonniers des récits

Le premier roman de Yandé Seck, "Weiße Wolken" (Nuages blancs), explore avec brio la quête d'identité de deux sœurs adultes issues de l'immigration, sans pour autant perdre de vue le présent allemand, ambivalent et flou.
Yandé Seck
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Yandé Seck
"Mais tout bon chemin doit être un chemin ouvert et droit et se trouver au soleil et sans bourbier et sans marécage et sans feu follet. Ce qui compte, c'est la vérité, et ce qui compte, c'est la fiabilité et l'honnêteté" Theodor Fontane, Erreurs, confusions Yandé Seck indique très vite sur quel milieu social va se concentrer son premier roman. A travers trois perspectives, elle raconte une Allemagne que l'on aurait autrefois qualifiée de bourgeoise, éduquée. L'une des sœurs, Dieo, a déjà des enfants et est sur le point d'entrer comme psychanalyste dans le cabinet d'une collègue âgée . Zazie, la sœur cadette, est encore à l'université et travaille dans un centre de jeunes. Elle critique sa sœur aînée pour sa vie bourgeoise avec Simon, beaucoup trop conformiste, intégré dans une start-up financière et n'a guère de temps pour les enfants et sa femme. Seck enrichit ce fil narratif des stéréotypes habituels que l'on imagine pour un homme blanc d'âge moyen issu de ce sociotope, que ce soit dans des dialogues sur le crypto-chat, les expériences de coaching. Il ne manque pas non plus une brève excursion sur ChatGPT pour explorer sa propre biographie. Cela se lit presque un peu trop et ne serait pas très intéressant, mais les sœurs de Seck ont un détail biographique modifiant aussi leur relation entre elles et avec la réalité allemande. Elles ont un père sénégalais et sont donc issues de l'immigration. Ce qui, en Allemagne et dans le monde entier, n'est jamais la chose la plus simple au monde et est en fait toujours intéressant. Et on remarque rapidement que Seck sait de quoi elle écrit. Elle est elle-même issue de l'immigration, a deux enfants et travaille comme psychothérapeute pour enfants et adolescents à Offenbach, près de Francfort, où elle a grandi. Son roman est donc aussi un roman de Francfort, chaque café, chaque rue, l'université, le quotidien avec les enfants et celui de Simon, tout cela est situé dans la réalité et prend vie grâce à de longs passages de dialogue. Comme il est question dès le début de Nuages blancs de conflits, de la réalité des relations, de l'appartenance et de l'identité, ces passages presque scénaristiques et prêts à être filmés rappellent les premiers films de Woody Allen ou les passages de dialogues furieux et émotionnels de jeunes réalisatrices comme Emma Seligman ou Maryam Keshavarz qui traitent également de leurs expériences de clash culturel, de leurs quêtes identitaires et de leurs drames de coming-of-age. Mais plus encore que ces films, le premier roman de Seck fait penser à Identitti de Mithu Sanyal, dont le roman se situe également dans l'univers universitaire, et où, comme chez Seck, les gens souffrent des récits de leur quotidien et ont donc toujours du mal à accepter la formule de vie simple selon laquelle nous sommes finalement tous des êtres humains, quelle que soit la couleur de peau qui nous a été transmise. A l'instar de Sanyal, le roman de Seck est toujours conçu de manière un peu théorique, ce qui est bien sûr dû à l'environnement woken que Seck décrit. Mais Seck parvient toujours à contrebalancer cette théorisation de son intrigue par des descriptions impitoyables du quotidien familial ou à enrichir les débuts d'une nouvelle relation de Zazie avec la quotidienneté, afin de donner au roman sa crédibilité, qui est au fond la recherche de quelque chose comme une solution au marasme des récits intériorisés et socialement en suspens. Pour se sentir enfin "à sa place" à la fin. Cette catharsis intervient dans Nuages blancs relativement tard, après deux bons tiers du roman. Et comme dans beaucoup d'autres récits venus d'Allemagne et traitant de cette thématique, c'est la mort du père qui marque un tournant. C'était le cas dans le film très précis et très tendre comme Ivie sur deux sœurs afro-allemandes à Leipzig, et bien sûr dans l'épopée familiale sombre et dense de Fatma Aydemir . A la différence de Dschinns, la mort du père chez Seck ne révèle cependant pas la déchirure de la famille, mais la guérit, conduit à une nouvelle poussée identitaire, à la clarté, à l'empathie et à la compréhension. Elle est l'occasion d'une profonde catharsis, car ce que Simon a déjà posé une fois comme question devient enfin clair. Les nuages blancs n'ont rien à voir avec le fait d'être blanc.